Dossier

Catastrophe au cyanure à Ity : les communautés en détresse

Publié le 10 juillet 2024

Près de 3000 litres de boues contaminées au cyanure se sont répandues dans les eaux du fleuve Cavally, le samedi 22 juin 2024, entraînant l’intoxication de plus de 200 personnes dans les villages de Floleu et d’Ouyatouo. Le gouvernement ivoirien affirme avoir pris des mesures pour ravitailler les populations en eau potable, mais celles-ci rencontrent des difficultés d’accès à l’eau et de prise en charge médicale.

Sous le hangar du Chef du village de Floleu, ce samedi 6 juillet 2024, jour du marché, il est 9 heures et 30 minutes, les leaders communautaires se rassemblent avec des mines renfrognées. Anxieux et inquiets, ils redoutent les répercussions de la pollution des eaux du fleuve Cavally. Les discussions s’animent et le ton monte.

« On ne se lave qu’une fois par jour avec l’eau des puits. On prend des risques. Nos enfants vont à la rivière pour se baigner. On n’a pas les moyens d’acheter de l’eau tout le temps. L’État dit avoir mis de l’eau à disposition, mais nous n’en voyons pas. Nous sommes inquiets, l’eau c’est la source de vie », se plaint le Président des Jeunes du village, Sébastien Gonto.

Conséquences économiques et sanitaires pour les habitants

Quatre jours après la pollution survenue au niveau du bac à cyanure de la société Endeavour/SM, les habitants de Floleu ont été informés. Depuis l’incident, ils sont obligés de se procurer de l’eau potable par leurs propres moyens, à des coûts supplémentaires.

« Les prix des bouteilles et sachets d’eau ont augmenté. Elles coûtaient 400 FCFA, aujourd’hui, il faut débourser 600 FCFA, 700 FCFA voire même 1000 FCFA. J’ai 10 enfants, et d’autres membres de la famille à charge. J’achète au moins 3 paquets par jour, mais ça ne suffit pas. On a expliqué la situation à la mine, mais il n’y a pas de résultat. Nous constatons qu’il n’y a aucune mesure d’urgence en place. Il n’y a pas de communication non plus », explique le notable Casimir Kuimepin.

Prise en charge médicale défaillante

Si les communautés impactées se plaignent de l’accès à l’eau potable, elles craignent également pour leur vie, car selon elles, « la prise en charge des malades n’est également pas effective ».

« Nous avons des cas de personnes qui présentent des symptômes de vomissement, diarrhée, et on nous fait croire qu’elles n’ont pas été contaminées. Notre jeune frère Landry, qui a séjourné à Ouyatouo, est venu rendre visite à ses parents le samedi 29 juin dernier. Dans la nuit, il a présenté des symptômes de vomissement et de diarrhée. Les parents l’ont conduit à l’hôpital le lendemain, et ils ont rapporté que pendant l’injection pour la perfusion, ils observaient du sang noir. Dès que la perfusion fut placée, il est décédé. J’ai informé le sous-préfet, le Dd santé, le préfet. Ils ont entendu l’infirmier, mais ils n’ont pas fait de retour », raconte le notable.

Réctions des communautés impactées

Dans le village d’Ouyatouo, l’autre village fortement impacté où a séjourné le disparu, trois barrages ont été installés. Femmes enceintes, nourrices, jeunes filles, et enfants assurent en majorité la gestion de ces barrages. Poudre blanche au visage pour certaines, morceaux de bois sur la tête pour d’autres, elles bloquent le passage et entonnent des chants. « Nous disons s’il n’y a pas de solutions, il n’y a pas de travail. Nos puits sont remplis d’huile, on ne peut pas utiliser cette eau. L’eau qui est distribuée est insuffisante. Les ordonnances acheminées à la mine n’ont toujours pas eu gain de cause, pourtant le préfet et les représentants de la mine avaient promis de gérer les cas de maladies issues de la pollution », crie Pélagie Doua, commerçante et fille du village.

Pélagie Doua, au micro de notre journaliste

Estelle K. (nom d’emprunt) dit avoir perdu sa belle-mère qui présentait des symptômes liés à la pollution. « On a vu des gens en train de vendre du poisson, on ne savait pas qu’il s’agissait de poissons contaminés. Après avoir mangé, ma belle-mère avait des selles. Conduite à l’hôpital, elle est décédée deux jours après, donc avant-hier », affirme-t-elle le visage pâle.

Tentatives de négociation

À quelques pas du quartier Soleil, où se trouvent ces barrages, les habitants du village prennent part à une réunion organisée par le sous-préfet Diané Séka de Zouan-Hounien en présence des agents de la société Endeavour/SM. L’ordre du jour porte sur la libération des voies sous ordre du préfet.

Dans le cercle qui sert d’espace entre les autorités et les populations, une assiette contenant de la nourriture en coleur foncée de terre est posée. Cette nourriture n’est autre que du placali (pâte de manioc fermentée) préparé à partir des récoltes du village.

« On ne peut pas manger, on ne peut pas boire, on ne reçoit pas d’eau, nous tombons malades, ma fille a une plaie sur la lèvre inférieure, les soins ne sont pas pris en charge et vous nous demandez de quitter les rues pour attendre une réunion programmée jeudi prochain ? On n’est pas là pour le désordre, on veut des solutions dans l’immédiat. On ne prend pas rendez-vous avec la mort, nous sommes en contact avec la mort et vous nous parlez de jeudi. Nous disons non ! » déclare Christiane Kampié.

Après des discussions houleuses, sans solutions concrètes, la parole est donnée au représentant de la Structure Social Performance (structure engagée pour gérer la communication entre les communautés et la mine), Dénis Goh, qui souhaite plus de patience de la part des populations. Les discussions n’aboutissent donc à rien de concret.

Dimanche 7 juillet 2024. Il est 10 heures, la cour du Chef du village grouille de monde. Une autre réunion de négociation se tient avec le corps préfectoral.

Cette fois, elle enregistre également la présence du ministère de la Santé, de l’Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle, du ministère du Développement Durable et de la Transition Écologique, du Centre ivoirien antipollution (CIAPOL), de la société minière et des autorités du village.

Après avoir posé les préoccupations majeures des populations, à savoir les points d’eau supplémentaires et la prise en charge des médicaments, l’honorable Woï Gaston, Député de la circonscription de Gbangbegouine – Gbonné – Gouiné, donne la parole au Directeur général de la mine Soro Drissa.

Des mesures promises

Ce dernier indique qu’aux premières heures de la crise, des mesures d’accompagnement ont été adoptées. « La distribution de l’eau en masse dans les communautés est en charge des autorités. Les populations trouvent que le rythme de distribution est insuffisant, nous avons demandé d’augmenter les citernes. Nous sommes en train de construire un forage pas très loin, il sera terminé d’ici peu », explique-t-il, avant d’inviter les populations à se rendre à la pharmacie du site minier pour les besoins en médicaments.

Le Directeur du CIAPOL, Bernard Ossey Yapo, rassure l’assemblée. « Je l’ai déjà dit. S’il y avait des gens contaminés au cyanure, ils ne pourraient pas se tenir devant nous ici. Je suis persuadé qu’il n’y a pas de contamination. Nous avons effectué des recherches, la mine étant en bas du village, le cyanure ne peut pas remonter. Mercredi prochain, nous allons réanalyser pour un autre verdict. Le produit ne peut pas perdurer plus d’une semaine dans la nature », promet-il.

Le Docteur, Tia Mamadou, rassure également les communautés en affirmant que les cas ne nécessiteront pas des évacuations d’urgence, mais promet de faire le nécessaire pour une évacuation rapide si besoin.

« Allez aux champs. Dans la panique, on bloque tout, mais ça va maintenant. Levez les barrages », conclut le Secrétaire général de préfecture, Nemin Théophile.

Les barrages levés, mais la méfiance persiste

Les barrages ont été levés autour de 17 heures, après trois jours de contestation. Toutefois, les populations restent méfiantes et continuent d’adopter les mesures d’urgence. « Nous ne sommes pas satisfaits des propos du responsable du CIAPOL. Ce produit est dangereux, il tue à petit feu d’ailleurs.  Notre infirmerie à tout de même accueilli plus de 300 personnes à cause de cette situation. Nous attendons la rencontre prévue le mercredi prochain avec les autorités administratives et la mine pour une prise de décision. Pour l’instant nous prenons encore des précautions sanitaires pour la santé de nos populations », a laissé entendre le Chef de terre, Ballah Célestin, rencontré à sa résidence.

Marina Kouakou

Envoyée spéciale

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